Sous le couvert de la guerre

Pour préparer la guerre, il faut avoir de bons guerriers. Pas seulement de bons stratèges.


Sous les plumes d'un corbeau

Des mois. Des désirs. Des envies. Des services. Du sang. Des batailles. La vie de Sysiphe n'avait pas beaucoup changé depuis qu'elle avait retrouvé sa fille et Ulfir. Elle avait pris la décision de rester et d'entrer dans la Confrérie du Suaire. Attention elle n'était pas devenue un esclave de l'Empire, loin de là. Bon l'avis de Sorn avait un peu aiguillé sa vie mais elle avait décidé de rester ici pour une simple et bonne raison : les Norses il y en avait déjà plein au Nord, alors qu'ici personne ne savait affronter les hommes bêtes et la corruption comme chez elle. Ils avaient tous besoin d'un guerrier, un vrai. Et ce guerrier, c'était elle. Une guerrière donc. Cela ne plairait pas à tout le monde mais elle s'en fichait pas mal. Ce qui était réellement important pour elle, c'était de rester avec sa fille, Ulfir, Jeborah et Sorn. C'était stupide mais elle s'était attachée à ce putain d'oreilles pointues. Il l'avait bien aidé, même s'il avait sans doute bien profité de sa bassesse d'intelligence pour arriver à ses fins également. Enfin elle ne pouvait pas trop lui en vouloir. « Nous jouons avec les armes que nous donnent les dieux ». C'était qui le con qui avait dit ça déjà ? Enfin bref peu importe.

 

Elle était rentrée dans la Confrérie du Suaire peu de temps après son arrivée. Bon elle était pas la meilleure question tactique mais elle pouvait se vanter d'être parmi les guerriers les plus féroces. En même temps c'était pas dur avec toute cette bande de couilles molles. Par Tyrra elle avait jamais croisé autant de grandes gueules dans toute sa vie de vadrouille. Enfin bref, elle était devenue Chevalier du Corbeau. Et elle avait appris que dans la Confrérie, plusieurs avis divergeaient sur une connerie pour elle : est-ce qu'on devait enterrer les cadavres ou les brûler ? Bon sang pour elle, qu'est-ce que ça changeait ! Elle avait tout de même écouter les avis des uns et des autres – entre trois choppes de bière – et avait décidé de suivre la solution la plus propre pour elle : le feu. Un corps en cendre ne pouvait pas être relevé.

 

Elle avait donc commencé à brûler les corps lors de ses missions. Elle n'était de base pas appréciée en tant que Norse – et elle devait se forcer à dissimuler ses oreilles de louves sous un casque atroce et terriblement inconfortable, tellement qu'elle finit par reprendre sa fourrure au bout d'un moment – donc s'entendre dire qu'elle ne suivait pas les commandements de l'Empire, ça la faisait rire plus qu'autre chose. L'Empire, elle s'en foutait jusqu'au tréfonds de ses tripes. Elle était Norse, elle, pas de ces abrutis qui avaient peur de la moindre goûte de sang.

 

Enfin bref. Elle n'avait pas réellement donné l'exemple de ce côté-là mais elle avait été reconnue comme étant une parfaite combattante, n'ayant peur de rien. Et en combat, elle n'avait jamais caché sa bénédiction de Tyrra, effrayant autant ses ennemis – tant qu'ils pouvaient l'être – que ses alliés. Malheureusement pour elle, ou heureusement elle ne savait pas trop, son chef lui avait demandé de partir, mais pas pour n'importe où. Un besoin pressant d'hommes sans peur de la mort. C'était dans ses cordes de trouver ça, surtout en Norsca. Sacré Bassiano.

Vers les plaines de l'enfance

À cheval, la Norse regardait s'approcher peu à peu les terres enneigées qui l'avaient vues naître. Elle n'avait pas eu le choix, elle avait emmené avec elle Hilda. Ulfir et Jeborah avaient suivi également. Sa famille, c'était parfait, elle n'avait pas besoin de plus. Ils allaient traverser les terres gelées de la Norsca, un impérial mourrait au bout de quelques jours seulement à cause du froid, s'il ne se faisait pas bouffer par un homme bête.

 

Souriant légèrement, elle regarda sa fille qui avait bien grandi. Elle était devenue belle et forte, comme elle à son âge. Malgré les épreuves endurées, elle avait su s'en remettre, reprendre son entraînement – surtout avec son père – et elle était désormais une guerrière en bonne voix d'être accomplie. Sysiphe le sentait, elle était protégée par les deux dieux de ses parents : la terrible Tyrra et le protecteur Migard. Elle était fière d'elle et elle savait qu'elle ferait de grandes choses plus tard. Elle serait sans doute même plus forte, courageuse et sage que ses deux parents réunis.

 

Leur route débuta deux jours plus tard dans le pays froid qu'était le leur. Les tribus du sud de la Norsca étaient les moins barbares, les plus proches des impériaux en somme. Des gens que Sysiphe n'appréciait pas beaucoup mais il s'agissait tout de même de ses compatriotes, même si la notion de pays s'arrêtait en réalité à celle de tribu dans ces contrées. Elle passa dans quelques tribus dont elle connaissait l'importance. Bien entendu, elle fut accueillie plus comme une Norse que comme une impériale, mais l'inverse se produisit de plus en plus fréquemment alors qu'ils montaient vers le centre de la grande Norsca.

 

Elle fut forcée de montrer ses aptitudes au combat dans de nombreuses tribus. Elle était d'ailleurs très fière d'être née sur la bonne étoile de Tyrra, en ayant hérité de son don de transformation. Ses crocs de louve déchirèrent avec violence plusieurs guerriers, qu'elle n'hésita pas à découper en lamelle de sa hache à deux mains.

 

Enfin approchèrent les montagnes tant aimées, tant connues, même par la plus jeune du groupe qui huma d'un air gourmand l'atmosphère parfumée d'une douce fragrance de viande grillée en salivant. Ils furent accueillis comme des héros dans le chaleureux village de Baldeck. Maléna leur sauta dans les bras, Kendra leur sourit de loin. Lùdvìk leur arracha les mains sous sa joie, Nooa leur prépara un repas des plus festifs et Isaak leur conta tout ce qu'il s'était passé par chez eux durant leurs années d'absence. Edric fut le dernier à arriver, présentant sa femme à cette petite troupe gelée cherchant le refuge de leur maison d'enfance. Il s'était marié quatre ans plus tôt avec la demoiselle qu'il avait défloré pendant la cérémonie en l'hommage de Pòrìr, une demoiselle âgée à l'époque de 15 ans, belle comme une fleur des neiges et douce comme un nuage. Une perle telle que l'on n'en pensait pas naître en Norsca, portant le nom de Syg. Plus délicate encore que la sage Maléna.

 

Dans ce village tant connu, la Norse trouva appui et promesse. Lùdvìk notamment lui assura qu'il essaierait de parler en son nom au chef de leur tribu, avec Isaak et le chef du village Sangfurie. Si la tribu de Nyanlga envoyait des hommes, Bassiano serait content et surtout très satisfait des compétences de ces nouvelles recrues. Par contre, il aurait intérêt à acheter des quantités assez importantes de bière.

Du sang sur la neige

Cependant, leur quête ne se stoppa pas à ces terres connues. Ils décidèrent de monter toujours plus haut. Les mois, puis les années, s'écoulèrent pendant tout ce périple. Mais Sysiphe devait accomplir sa mission. Les Norses étaient les meilleurs pour combattre des hommes bêtes et autres choses du genre. Pas qu'elle se sentait foncièrement ennemie avec toutes ces merdes, sauf lorsqu'elles s'en prenaient à sa famille, mais l'Empire avait un cruel besoin de vrais combattants. Pas de chiottes qui se pissaient dessus à la moindre bestiole.

 

Elle découvrit donc le nord de son propre pays. Elle avait toujours entendu beaucoup de choses. Les Norses du nord étaient, selon son père, beaucoup plus violents, tournés vers le chaos, les massacres et même le cannibalisme qu'eux, au centre du pays. Et les sudistes étaient de réels enfants de cœur à côté.

 

En effet, elle ne fut pas déçue du tout. Les villages étaient décorés de morbides cadavres gelés et à moitié dévorés – elle ne demanda pas si cela venait des animaux, des créatures ou des villageois eux-même. Plus ils avançaient, plus elle avait du mal à être prise au sérieux. Dans une tribu, on lui demanda, pour faire preuve de sa force, de tuer un nouveau-né et de le dévorer vivant. En tant que mère et que Norse, elle se transforma, regarda le nourrisson qui semblait en pleine santé et se jeta avec une violence inouïe sur les parents, les dévorant eux jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que des os rongés. Sa seule remarque une fois redevenue humaine, le visage couvert de sang, fut que les humains avaient une viande absolument immonde, surtout de pareils détritus. Elle ne sut pas si elle avait réussi à les « séduire » ou non puisqu'elle partir avec sa petite troupe directement après cette malheureuse mésaventure. Elle en vomit par la suite pendant trois jours, dégoûtée d'avoir eu affaire à ce genre de déchets qui se prenaient pour des Norses.

 

Mais elle dû affronter sa plus grande épreuve dans le village principal d'une des tribus les plus puissantes et les plus violentes du nord de la Norsca. Un combat fut demandé par le chef, un homme tout en muscle, avec deux tentacules sur chaque tempes qui tenaient les chaînes attachant deux demoiselles qui s'étaient sans doute faites violer avant leur arrivée. Sysiphe accepta sans hésiter mais il pointa Hilda du doigt en demanda à ce que l'adolescente de 14 ans prenne les armes. Si Sysiphe et Ulfir étaient des véritables Norses et s'ils voulaient obtenir ses hommes, alors leur fille devrait prouver sa propre valeur.

 

Sysiphe éclata de rire et laissa donc sa fille aller dans l'arène minable que le village possédait. Elle se retrouva contre une autre jeune fille de son âge environ, mais qui prit directement l'apparence d'une ours imposante. Dommage pour elle. Avec deux parents Ulfwerenars, Hilda avait appris à les combattre très tôt. Elle s'était entraînée durant tout leur périple au travers de la Norsca. Non sans mal, elle parvint donc à crever le cœur de son adversaire d'un coup de sa lance, qui se brisa dans les chairs déchirées. Hilda se pencha sur la morte et posa sa main sur sa fourrure pendant quelques secondes. Le chef du village se moqua de sa foi, ce par quoi elle lui répondit d'une voix douce que les Dieux n'étaient pas uniquement des objets pour la guerre mais des compagnons de route. Fiers de leur fille, les parents fixèrent le chef, en attente d'une réponse, un air supérieur sur leurs faciès barbares. Sysiphe lui offrit même sa fourrure de louve en cadeau, signe pour elle qu'elle était devenue une vraie guerrière aux yeux de ses parents.

Le temps des lames

Le temps de la fonte des neiges arriva enfin. Le temps de rentrer, car Bassiano avait besoin de l'aide de Sysiphe. Elle se mit donc sur le retour avec sa petite troupe avec quelques promesses d'aide, quelques mots criés au coin d'une chope de bière ou encore le soutien de quelques chefs. Rien de techniquement concret, mais elle avait fait de son mieux. Elle s'était battue, elle s'était faite ridiculiser quelques fois mais elle n'avait jamais perdu de vu son réel objectif.

 

Elle avait quitté ses anciens compagnons de route depuis des années. Elle ne savait pas s'ils étaient encore en vie, elle l'espérait juste. Elle-même avait bien changée, sous sa nouvelle armure, avec ses nouvelles armes et sa nouvelle peau de bête, un immense lion des neiges les ayant attaqué sur le retour. Car si les craintes de Bassiano s'avéraient réelles et surtout sur le point de se concrétiser, non seulement elle aurait besoin de tout son courage mais également de toute l'aide qu'elle pourrait avoir. Elle n'avait pas peur. Elle était comme tous les Norses de sa trempe.

 

Impatiente.

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